mercredi 23 avril 2008

Satires de Juvénal

Proposition de traduction 

On vit maintenant une époque et des siècles pires que l’âge du fer, pour le crime desquels la nature elle-même n’a pas trouvé de nom et n’a pas désignés sans faire référence à aucun métal.

Et nous, appelons-nous la foi des hommes et des dieux par nos cris autant que la foule sonore loue Faesidius lorsqu’il plaide ? Dis, vieillard très digne de la bulle, tu ignores quels attraits possède l’argent d’autrui ? Tu ne sais quels rires ta simplicité provoque dans la foule, lorsque tu exiges de quelqu’un qu’il ne se parjure pas et qu’il croit qu’en quelque temple sur quelque autel ensanglanté il y a une puissance divine ?

Autrefois les indigènes vivaient de cette façon avant que Saturne en fuite, après avoir déposé son diadème, ait pris une faux champêtre, au moment où Junon était une petite fille et Jupiter encore un simple particulier dans les cavernes de l’Ida […]

Et maintenant si un ami ne conteste pas un dépôt, s’il te rend une vieille bourse avec tout son vert-de-gris, c’est une bonne foi digne d’un prodige et des livres étrusques et qui exige le sacrifice expiatoire d’une agnelle couronnée.

Si je vois un homme remarquable et qui a le sens du sacré, je compare ce phénomène à un enfant à deux corps et à des poissons trouvés sous une charrue stupéfaite ou à une mule qui a mis bas, abasourdi, comme si une pluie de pierre s’était abattue et un essaim d’abeilles s’était posé sur une longue grappe de raisin au sommet d’un temple, comme si un fleuve impétueux avait coulé dans la mer avec des tourbillons étonnants et des torrents de lait.


Proposition de commentaire (de Thomas cette fois)

Introduction :       Le "mythe de l'âge d'or", s'il apparaît initialement sous la plume du poète grec Hésiode dans Les Travaux et les Jours (VIIIème siècle avant J-C), s'avère historiquement récurrent dans la littérature européenne. Il constitue avant tout un détour intellectuel au service de la satire des mœurs d'une société jugée décadente mais s'inscrit conjointement dans une démarche idéologique qu'il convient de qualifier de réactionnaire. C'est dans une telle perspective que se développe à Rome à la charnière des premier et deuxième siècles le genre littéraire qu'est la satire, ce en particulier aux travers des œuvres de Perse, Horace, Martial et Juvénal (65-128). Ce dernier, dans ses Satires,dépeint les travers de son temps au moyen de tableaux caustiques et de lapidaires maximes versifiés. Dans cet extrait, Juvénal recourt à une écriture protéiforme à dimension comique, laquelle, fondée sur un système antithétique, est mise au service d'une satire acerbe de ses contemporains.      

 I Un texte protéiforme à dimension comique

         1.Vivacité de l'écriture

-diversité des procédés discursifs: alternance entre des considérations générales (v1-3), des interventions du locuteur à forte dimension rhétorique et à caractère anecdotique (v 4-10 et v 15-25) et le recours au récit ( v 11-15)

-constatons les nombreuses modalités interrogatives (v 6,7,10), autant de questions rhétoriques à l'appui du propos de l'auteur

- relevons également l'usage de l'impératif "dic" (v 6) placé à la coupe trihémimère (après le troisième demi -pied) qui par le biais de sa nature d'apostrophe crée un effet d'hypotypose

-assonances :  en "i" (v6,v15), en "u" (v13) ….

          2.Comique

-impact comique des trois anecdotes : -dialogue fictif avec le vieillard (v 6-10) animé par l'oxymore "senior bulla dignissime", la cataphore de "nescis" (= anaphore en fin de segment, ici en fin de vers) (v 6-7)

                                                             - deux exemples hypothétiques introduits respectivement par deux et une propositions conditionnelles ("si" ) dont les verbes "infitietur", "reddat" au présent du subjonctif indiquent le caractère  peu probable (potentiel) d'une telle honnêteté  et "cerno " au présent de l'indicatif présente un caractère gnomique (de vérité générale), exemples propices à l'outrance hyperbolique

-remarquons justement que c'est avant tout le caractère hyperbolique du texte qui est l'agent du rire que le passage suscite en nous : il convient donc de relever les multiples hyperboles présentes dans le texte, sollicitées en particulier par les diverses comparaisons auxquelles se prête Juvénal. Conjointement, relevons les effets sonores attenants : -allitérations en "r" (v 20) en dentales (v 22), en "t" (v25)

                                                                                                             -assonances en "u" (v 8), en  "i" (v 17)

                                                               la place des mots : - sollicitus (v 22) à la coupe trihémimère                                     

-         "monstrum" (v20) à la coupe trihémimère

Il y aurait encore bien d'autres effets stylistiques à relever pour insister sur la dimension comique du texte mais dans l'hypothèse d'un commentaire de 10 minutes, l'exhaustivité ne me semble pas requise.

 

 

II La satire des mœurs de ses contemporains

       1.Un passage fondé sur un système antithétique

-proposition liminaire à commenter : référence implicite à l'âge d'or au travers du comparatif "pejora", des négations "non", "nullo" et de l"adverbe temporel "nunc" , lequel est donc originairement (dans le passage)  établi comme opposé à l'époque d'écriture  ("aetas agitur")

-relevons les antithèses concernant les indications temporelles (ex : nunc et quondam")

-remarquons la présence de champs lexicaux opposés, celuio de l'argent et celui de la loyauté, lesquels sont respectivement mis en exergue au moyen de la place des termes s'y rapportant: "pecunia" (v 7) est placé sur le dactyle cinquième, "follem" (v17) en fin de vers et "depositum" (v 15) à la coupe penthémimère d'une part; d'autre part, "fides" (v 17) à la coupe penthémimère , "egregium sanctum" (v19) à la coupe penthémimère

-évoquons encore l'opposition du temps des verbes, en particulier entre les vers ayant trait à l'époque contemporaine de l'écriture et le passage narratif à l'imparfait (v 11-15), relatif à l'âge d'or

     2. Le détour mythique

-évocation idyllique de l'âge d'or (v 11-15), de la jeunesse des dieux ("privatus Juppiter", "virguncula Juno"

 - comparaisons irrationnelles qu'il convient de relever et référence aux livres étrusques, autant d'allusions aux premiers temps mythiques de Rome, aux prodiges en tous genres et autres miracles, signes d'une civilisation du "muthos" où la raison calculante n'avait pas encore dicté à l'homme le chemin de l'intérêt personnel

    3.Par contraste, satire acerbe de ses contemporains

-dénonciation de la dissolution des valeurs au premier rang desquelles l'honnêteté et la piété

(v 9) , notamment au travers des moqueries perpétrées à l'encontre du vieillard naïf et de toute l'ironie qui transparaît dans ce passage au discours direct (v 6-10) et par le biais de la référence improbable, selon Juvénal, à un homme de parole exceptionnel ( v19-25)

-satire d'un monde de l'apparence, de l'intérêt personnel et de la cupidité : évocation du phénomène de clientélisme très courant dans la Rome de Juvénal (v 5-6) "sportula" en première position dans le vers et qui occupe un dactyle complet 

                                                                                                                      anecdote de la "vieille bourse" qui fait figure d'exemple significatif de la rareté de l'honnêteté et de la cupidité chez les contemporains de Juvénal

 

 

 

Conclusion : -rappelons les lignes de force majeures de ce texte

                     -ouverture recommandée : évoquons les différentes réécritures de ce mythe (palimpsestes), notamment la reprise rousseauiste  dans le second discours (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes)

                     -ouverture audacieuse : référons-nous aux divers courants de pensée réactionnaires d'extrême droite le plus souvent (courants royaliste, conservateur et néo conservateur) mais également d'extrême gauche écologiste (mouvement qui soutiennent l'idée de décroissance) qui se réfèrent avec la plus grande complaisance à un passé idéalisé

                     -ouverture téméraire : convoquons la référence marxiste pour venir critiquer la perspective de Juvénal (Hegel pourrait être mobilisé en renfort) et développer l'idée que c'est précisément à partir de la raison pratique cette fois que l'homme pourrait trouver à se juger lui-même si bien que dénoncer le règne de l'intérêt personnel et de la cupidité tel qu'il peut se manifester de nos jours ne conduirait nullement à opter pour des thèses réactionnaires mais bien plutôt à adhérer à un nouveau pro-jet (référence à l'existentialisme sartrien) pour l'homme à venir.

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