Dans quel état d’esprit le sage se retire-t-il pour s’éloigner des affaires ? Dans quel état d’esprit tel qu’il sait qu’il accomplira des choses utiles pour la postérité Nous assurément nous sommes des gens qui disons que ET Zénon ET Chrysippe ont fait des plus grandes choses que s’ils avaient mené des armées, exercé des magistratures, présenté des projets de loi : pas pour une seule cité mais pour le genre humain. Quelle raison y a-t-il pour qu’un temps libre ne convienne pas à un homme de bien pendant le quel il pourrait organiser les siècles futurs et haranguer devant un petit nombre de gens mais devant tous les hommes de tous les peuples qui sont et qui seront. Au total je me demande si Cléanthe, Chrysippe et Zénon ont vécu selon leurs propres principes. Tu répondras sans doute que ceux- ci ont vécu comme ils avaient dit qu’il fallait vivre. Mais aucun de ceux-là n’a géré les affaires publiques. ils n’auront même pas dis-tu ni la fortune ni les dignités qui permettent d’accéder habituellement au maniement des affaires publiques. Mais les mêmes hommes néanmoins ont mené une vie qui n’était pas inactive : ils ont trouvé comment le repos était plus utile pour des homes de ce genre là que la vaine agitation et la sueur des autres. C’est pourquoi ceux-ci ont semblé avoir beaucoup agi, quoiqu’ils n’aient rien fait à titre publique.
Propostion de commentaire
Introduction (encore complète, je suis décidément trop bon !)
Le premier siècle avant JC connaît à Rome une intense activité dans le domaine de la philosophie. Dans la démarche d'accumulation des formes de pensées grecques de la Rome classique, nombre de doctrines philosophiques furent ainsi récupérées par les auteurs latins. Par exemple, la philosophie stoïcienne, philosophie matérialiste impliquant le refus de la douleur et l'affirmation du plaisir, de l'otium, comme chemin d'accès au bonheur, héritée de Zénon (IV-III eme av JC en Grèce), est récupérée par Sénèque (4 à 65) notamment. Celui-ci, précepteur de Néron, est amené à se suicider en 65 sur ordre de ce dernier, pour avoir participé au complot de Pison, visant à renverser la tyrannie. Il fut prolixe, écrivant notamment des oeuvres philosophiques comme « De brevitate vitae » ou « de otio », ainsi que des pièces de théâtre, telles « Hercule furieux ». Ainsi, celui-ci dans De otio, traite de l'un des thèmes centraux de la philosophie stoïcienne, à savoir le rejet du « mori in actu » et la pratique de la retraite pour pleinement philosopher.
Dans un texte remarquablement bien écrit, tant sur le plan stylistique qu'argumentatif, c'est toute la philosophie que sénèque expose ici, dans le rapport spécifique entre « otium » et « actu », enre philosophie et « res publica »
I Un texte argumentatif, original.
1. La forme dialoguée
a/ La confrontation entre le philosophe et le citoyen : échange
– verbes interrogatifs et de parole « «quaero », « dicimus » et v 21, 25, 27
– verbes à la 1 ere et 2eme du sg => rythment l'échange par un jeu de questions/réponses
b/ Mais ce n'est qu'une apparence de discours.
– questions rhétoriques (Iere et la réponse n'est composée que d'une consécutive, introduite par « ut » comme si la réponse était contenue dans la question)
– - « non dubie » avant « respondebit » => prévention des objections
=> ce à quoi sert ce pseudo discours : prévenir toutes les objections que le citoyen lambda peut poser et donc donner un statut d'infaillibilité à la doctrine, comme une doctrine qui aurait réponse à tout.
=> Une écriture qui se conforme aux canons des débats de la philosophie classique, comme dans Phédon de Platon.
2 La rigueur de l'argumentation
a/ nombreux mots de liaison et connecteurs logiques
– « sed », « nihilo minus », « ergo », « ad summas »
– Il s'agit de tirer le gain de ce qui a été établi au préalable.
b/
– Là encore le jeu de questions/réponses qui permet une succession rigoureuse d'arguments à des objections (relever la question sur le mode de vie du sage avec l « évidente » réponse de Sénèque)
– Présence d'un syllogisme.
=> C'est donc un texte riche, qui tant dans la forme que dans le fond correspond aux canons de la philosophie antique.
II L'exposition de la Philosophie stoïcienne
1. L'utilité du sage
a/ l'universalité et intemporalité de sa doctrine
– lexique autour de la notion d'universalité
– opposition groupes/particuliers (« toti humano generi » / « uni civitati ») par le double emploi de « non...sed » => nombreuses antithèses
– Remarquer l'emploi de « omnes » et « omnium » avec une proximité totalisante
– Enfin souligner que cette doctrine s'étend dans le temps « quique sunt quique erunt »/ Action de la philo ancrée dans le présent mais aussi tournée vers le futur
b/ l'utilité du sage proprement dit
– une vie bien remplie : otium est différent d'oisiveté => mis en évidence par la valeur de litote de « non segnem »
– structure comparatives mélioratives « plus quam », « majora », en faveur du philosophe au détriment du politicien.
– son rôle : « futura saecula ordinet »
– Rôle éminent s'il en est mis en valeur par l'opposition entre « illorum » et « viro bono » avec « aliorum »
=> Le philosophe est donc fort utile à la société, d'autant qu'il est plein d'abnégation. En effet, ce sont les « futura saecula » qu'il ordonne, ceci pour tous les hommes, et non pas la mise au service de son intelligence à la recherche de son intérêt personnel.
2 Mise en application de la philosophie
a/ L'otium, centre de la philosophie
– L'otium s'oppose à l'action, cf « Lettres à Lucillius », où Sénèque critique le « mori in actu »
– Alors que le champ lexical de l'action est très développé dans le texte, notamment avec le terme dépréciatif « praestante », celui de l'otium est très restreint, ce qui accentue le placement de l'otium au centre du texte. Il n'y a en efet que « quies » et « secedit » qui se rapporte à la notion de temps libre/retraite.
– De plus, l'otium est qualifié laudativement : emploi du comparatif « majora », et « prodest »/ « prosit »
– C'est un « majora egisse »
– => L'otitum est donc un état d'esprit, « animo », par lequel, le philosophe peut « futura saecula ordinet » . Ce n'est donc pas du temps de perdu, puisqu'il assure la pérennité de la réflexion.
– => Le philosophe se place donc dans un état d'ataraxie »
b/ Une élévation au dessus des affaires communes.
– L'homme est différent du citoyen : en effet, opposition « toti humano generi » et « civitati », par définition l'ensemble de l'action des citoyens.
– Supériorité de la philosophie par la formule « multum egisse » sous entendu « quam re publica » et l'opposition « leges tulissent » et « (leges ) quas tulerunt ». Emploi du plus-que-parfait de l'indicatif, pour qualifier l'action philo et non plus-que-parfait du subjonctif => qqch d'accomplit et non qqch d'irréel (du passé par ailleurs !).
c/ Le cas personnel de Sénèque
– Emploi des verbes d'action et de rélexion à la première du sg
– Sénèque = « sapiens » qui doit « secedit »et par là « sciat » « acturum esse » de grandes choses =détaché de La « res publica », mais « posteris prosit »
– Retrait conditionné par « plus quies...sudor »
– Rejet « aliorum discursus » pour « quies illorum » => structure en parrallélisme doublée d'une homéotéleute en « orum », qui l'accentue.
– Conditions pour bien vivre, « vivendum » (noter la connotation morale de l'adjectif verbal), pour vivre avec ses « praeceptis »
Conclusion (elle aussi complète)
Ainsi dans ce texte, Sénèque s'attache à montrer la façon dont l'homme doit se comporter notamment, autour de l'aspect central de la necessité morale de vivre selon les préceptes de la philosophie. Il donne, de façon originale, la pleine universalité de la philosophie en affranchissant les philosophes des contingences matérielles et de la participation à la vie publique. C'est aussi par une justification personnelle que Sénèque indique aux citoyens, dans une perspective totalisante et libératrice, comment devenir philosophe et accéder à la félicité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire